Port de Marseille : la CGT creuse sa tombe
05/04/2007 - Jacques Marseille - © Le Point
Dans moins de trois mois se dérouleront dans le port de Valence les premières régates de la prestigieuse Coupe de l'America, une Coupe pour la première fois organisée dans une ville européenne. En juin 2003, quand une délégation helvétique était venue à Marseille pour apprécier le « potentiel » de la ville, une grève des éboueurs lui avait offert le spectacle de rues envahies par les ordures et par les cafards. Battus par le port espagnol, les Marseillais avaient alors invoqué le poids de l'argent et le lobbying du roi d'Espagne !
Une culture dont le conflit qui a bloqué le port autonome de Marseille pendant dix-huit jours a révélé une nouvelle fois les pesanteurs. Comme souvent à Marseille, la grève est ici préventive. Il s'agissait, pour les dockers de la CGT, de revendiquer la responsabilité du chargement et du déchargement du futur terminal méthanier que Gaz de France doit ouvrir, au printemps 2008, à Fos-Cavaou, à une quarantaine de kilomètres de Marseille. Au nom du « service public », alibi de tous les conservatismes, la centrale syndicale prétendait ainsi s'opposer à une menace de privatisation exigée par la seule « rentabilité financière ». Un discours convenu qui ne résiste pas à l'examen et qui masque la vraie raison de cette grève : mettre la main sur une opération qui représente un millier d'heures de travail par an, soit un peu moins que l'équivalent d'un temps plein !
Pour Gaz de France, il n'était pas question de transiger sur les questions de sécurité qu'exigent ces opérations effectuées par ses propres agents. Le gaz naturel liquéfié est déchargé à - 163° C et nécessite des procédures particulières de raccordement du navire et de déchargement vers les réservoirs du terminal. Un dispositif en application depuis quarante ans et qui a assuré plus de 7 000 déchargements sans incidents.
Au-delà de ce conflit qui a coûté 25 millions d'euros aux compagnies pétrolières, c'est bien l'avenir du port de Marseille qui est en jeu. Comme l'a analysé le remarquable rapport de la Cour des comptes de juillet 2006, « les ports français face aux mutations du transport maritime », ce statu quo incarné par la CGT est en total déphasage avec les profondes et rapides mutations intervenues au cours des dernières années dans l'environnement économique. Alors que l'essor du transport maritime et plus particulièrement l'explosion du trafic de conteneurs ont constitué de puissants moteurs de développement pour les principales places européennes, les ports français, et spécialement le port de Marseille, n'ont pas pleinement tiré parti de cette mondialisation positive. Alors que la France, cinquième puissance exportatrice mondiale, dispose d'atouts géographiques considérables, étant, par ses façades maritimes, l'une des principales portes d'entrée des marchandises transportées par les lignes régulières des grands armements maritimes, elle ne classe que deux ports parmi les cent premiers mondiaux, Le Havre au 36e rang et Marseille au 70e.
La faible compétitivité de Marseille est particulièrement illustrée par ses résultats en matière de trafics de conteneurs. Depuis le début des années 90, sa croissance n'est que de 2 % alors qu'elle atteint 49 % pour l'ensemble des ports de l'Europe du Sud. Marseille a ainsi perdu plus du tiers de sa part de marché, devancée par Algésiras, Valence, Barcelone, Gênes, Le Pirée ou La Spezia.
L'explication est simple : le coût de manutention à Marseille est supérieur d'environ un tiers à celui des autres ports méditerranéens. En l'absence d'un commandement unique sur les terminaux et à cause d'une organisation sociale archaïque, le nombre d'EVP (ou équivalent 20 pieds : unité de référence pour mesurer le transport des conteneurs, lesquels font conventionnellement 20 pieds de longueur, soit 6,058 mètres) manutentionnés à Fos est de 350 par an et mètre de quai, contre 600 à Valence et 1 300 à Anvers.
Surtout, la « fiabilité » sociale est pour le moins incertaine. Selon les données produites par l'« observatoire de la fiabilité » créé par le port autonome en 1999, près d'une escale sur cinq a été marquée par un incident entre 2000 et 2004. Après les conflits sociaux de l'automne 2005 qui ont paralysé les terminaux pendant quinze jours et mené la SNCM au quasi-dépôt de bilan, ceux du mois de mars risquent de décrédibiliser totalement le port auprès des armateurs.
Encore un effort et la CGT aura réussi un véritable exploit : réduire Marseille à son « vieux » port et faire de la cité phocéenne la vitrine du conservatisme français.