Aline a écrit :
c'est un dossier a part.... nous ne sommes pas toubib pour se rendre compte de vos soucis mais ,que pensez-vous de créer des dispensaires où les médecins se réuniraient entre différentes branches utilisées au quotidien telles que
généralistes ,dermato ,gynéco ,orthophonistes ,pédiatres.....afin de créer une facilité pour les usagers(patients) .... et mettre le tarif des généralistes aligné aux spécialistes le tout développé dans des endroits isolés ou désertés de toubibs en zone rurale.Chère Aline,
il n'est pas facile en quelques mots de répondre à une telle question qui en fait en comprend plusieurs, et dont les causes sont multiples.
En ce qui concerne la désertification médicale, elle ne touche hélas plus simplement le monde rural mais, malheureusement, et de plus en plus, beaucoup de villes moyennes et même des régions moins "attractives", en terme d'environnement climatique, social ou économique.
Et cette tendance lourde ne fait que s'aggraver avec le temps.
Ainsi les jeunes médecins privilégient de plus en plus une installation dans les grandes agglomérations et le Sud de la France.
Là, la concentration médicale favorise la création de structures pluridisciplinaires telles que vous les décrivez, permettant au médecin un partage de la charge de travail plus équilibré et aux patients de trouver sur le même lieu de quoi répondre à leurs besoins de soins.
Car les priorités du projet de vie ont suivi dans nos métiers celles de la société en générale : un métier intéressant certes, mais moins chronophage, permettant de dégager du temps libre pour une vraie vie de famille, des loisirs...Une ville où les enfants pourront faire leurs études, où seront facilement accessibles les infrastructures culturelles ou sportives. De bonnes dessertes en transport : TGV, avion...
Le plus souvent, les deux partenaires du couple travaillent et ne veulent pas sacrifier leur épanouissement professionnel à celui de l'autre. Comment demander à un conjoint de vous suivre en campagne ou dans une région déshéritée s'il a un métier dans un secteur dynamique ?
La féminisation croissante de la médecine augmente encore cette aspiration. Vous le savez les femmes doivent encore plus concilier leur métier et la charge de leur vie familiale.
Ce qui ne peut qu'orienter leur choix du lieu d'exercice, comme d'ailleurs de la spécialité exercée : sans gardes, en cabinet de groupe...
D'où abandon des activités stressantes, pénibles physiquement, astreignantes en temps de travail.
Il faut imaginer ce qu'est la vie d'un médecin de campagne, sur la brèche 24H sur 24, avec des horaires démentiels, pour comprendre que cet exercice soit boudé par les jeunes.
Et après, tout s'enchaîne : moins d'installations, donc moins de médecins présents sur le même bassin de population, donc plus de travail pour les derniers restants, donc repoussoir pour attirer de nouveaux praticiens etc...
Comment régler ce qui semble au moins en partie inexorable ?
Par des mesures incitatives ? Et l'alignement du tarif de la consultation du généraliste sur celui du spécialiste que vous citez en est un exemple.
Comme pourraient l'être des aides spécifiques régionalisées en fonction des besoins locaux.
Mais tout cela ne doit-il pas s’intégrer dans un vrai schéma d’organisation du territoire, favorisant le rééquilibrage des régions actuellement délaissées et devant être favorisées en terme de moyens d’attractivité sociaux, économiques et de services, publics comme privés.
Et dans le domaine qui nous concerne, plus que des actions ponctuelles dont les autorités ont la spécialité, c'est à une véritable refondation des rapports entre les médecins et les tutelles administratives qu'il convient de procéder.
Pour prendre l'exemple de la chirurgie, que je m'excuse de citer à nouveau, mais qui est celui que je connais le mieux, permettez moi de vous faire part de mon expérience personnelle.
J'ai 54 ans.
J'ai choisi d'exercer la chirurgie par vocation.
A l'époque, 1980, elle était la spécialité la plus convoitée par les internes.
Après avoir vécu 30 ans à Paris où j'ai fait toutes mes études, mon internat et mon clinicat hospitalier, j'ai choisi de m'installer en libéral en province.
J'exerce dans une préfecture du Centre de 80000 habitants, à 2H de Paris.
Mon épouse médecin a choisi de ne pas travailler ce qui a facilité mon choix. Même si nous avons du sacrifier les avantages des grandes agglomérations, nous ne l'avons jamais regretté. Peu de concurrence, clientèle rurale agréable, qualité de vie... pour celui qui aime la campagne et le calme.
Mais en 20 ans, que de changements :
- la ville à l’écart du développement économique a perdu près de 10000 habitants.
- le tissu médical s'est raréfié.
Il faut maintenant 6 mois pour obtenir un RDV avec un ophtalmo ou un rhumatologue. 9 mois pour voir un gynéco ! Certains généralistes envoient leur patient voir les spécialistes à Paris où ils sont pris dans les 15 jours.
Beaucoup de communes rurales n'ont plus de généralistes, car ceux qui sont partis à la retraite n'ont pas trouvé de remplaçant !
- Après 20 ans dans la même clinique je suis le dernier installé ... et le plus jeune.
Nous ne trouvons plus de successeurs.
La chirurgie n'est plus choisie par les jeunes. Les rares volontaires s'entassent à PACA ou dans la région parisienne.
Les départs anticipés à la retraite, 65 ans pour nous, se multiplient.
La judiciarisation croissante, le stress, la pénibilité, écoeurent les anciens et effraient les jeunes.
Les charges de toutes sortes se multiplient : pour exemple, les montants des primes d'assurance professionnelle ont été multipliés par 10 depuis mon installation. Elles atteignent en moyenne 15.000 euros aujourd'hui.
Parallèlement le tarif opposable, c'est à dire la part remboursée de l'acte chirurgical, est bloqué depuis plus de 15 ans. Si la consultation du généraliste avait subi la même stagnation elle serait aujourd'hui de 4 euros c.a.d 5 fois moins que ce qu'elle vaut !
- Et dans le secteur public ce n’est pas mieux.
Sous payés, dévalorisés, accablés de contraintes administratives étouffantes, de nombreux postes sont vacants.
Pour masquer ces manques on recrute à tour de bras des praticiens étrangers, parfois de l’Union Européenne avec une compétence reconnue, mais aussi, de plus en plus, hors de l’Union, sans assurance sur la qualité de leur formation.
Et dans le même temps on colle avec 14 de moyenne des étudiants français dans un numerus clausus irresponsable !
Bien sûr il n'est pas question de vous faire pleurer sur mon sort.
En secteur conventionné à honoraires libres j'ai une vie confortable, mais en faisant de plus en plus peser sur mes patients la charge de compléments d'honoraires que la sécurité sociale transfère cyniquement sur eux, en se désengageant de la prise en charge de la chirurgie.
Et que beaucoup de mutuelles complémentaires refusent de prendre en charge aussi, alors que les patients cotisent souvent fort cher pour être bien remboursé.
Mais pour mes collègues qui, à égalité de formation et de qualification, sont bloqués contre leur gré en secteur 1, pour des raisons idéologiques et dogmatiques, l'impossibilité de prendre les compléments rend la situation souvent critique.
Les jeunes ne s'installent plus qu'en secteur 2. Imaginez alors l'écoeurement d'un praticien de 20 ans d'expérience qui voit son jeune associé pouvoir prendre des compléments qu'on lui refuse à lui !
Les accords chirurgicaux d'août 2004, signés par l’Etat, devaient apporter un début de réponse à ces problèmes.
En revalorisant la part remboursée des honoraires et en rendant le choix de leur secteur d'exercice aux séquestrés du secteur 1.
En trouvant une solution pérenne aux problèmes des assurances.
L'Etat avait engagé sa parole et sa signature.Xavier Bertrand qui avait participé, à côté de Douste Blazy, à l'élaboration des accords et qui, en tant que ministre de la santé, avait le devoir de tenir ses engagements, les a reniés et nous ballade depuis plus de deux ans.
Deux ans de perdus pour rendre son attractivité à la chirurgie.
Deux ans de perdus pour rétablir l'égal accès aux soins sur tout le territoire.
Cet homme va quitter son ministère à la fin du mois en ayant aggravé la situation de pénurie que vous déplorez.Pour qu’un candidat qui prône le respect de la parole donnée et le renouveau de la démocratie et de la république soit crédible, il se doit de prendre un porte parole irréprochable et qui applique lui-même ses principes, en tenant ses engagements.Et ces reniements que nous dénonçons ce n’est pas seulement un hypothétique lobby de chirurgiens libéraux qui le fait.
Mais aussi l’ensemble de la communauté chirurgicale privée comme publique.
Comme l’atteste le communiqué publié il y a 15 jours par le Conseil National de la Chirurgie justement nommé par le ministère de la Santé pour expertiser les problèmes de la discipline et présidé par Le Professeur Jacques Domergue, chirurgien hospitalier et député UMP, qu’on peut donc difficilement suspecter de vouloir mettre en difficultés son propre camp.
Je vous le livre en conclusion :
Communiqué du Conseil National de la Chirurgie
Au Ministre de la Santé d’agir
Le Conseil National de la Chirurgie demande sans délai la mise en œuvre des accords concernant la pratique de la chirurgie dans les cliniques privées signés le 24 Août 2004 et dans les hôpitaux publics signés le 2 septembre 2004.
Force est de constater que le non respect des engagements gouvernementaux rend caduc le développement du plan chirurgie dont l’urgence avait été reconnue par les signataires il y a maintenant plus de deux ans.
• Pour la chirurgie libérale, alors que les réunions entre l’Union Nationale des caisses d’Assurance Maladie, les syndicats médicaux et l’Union Nationale des Organismes Complémentaires d’Assurance Maladie ne débouchent sur aucune proposition concrète, le Conseil National de la Chirurgie appelle le ministre de la Santé et des Solidarités à agir, comme il s’y était engagé, par voie réglementaire.
• Pour la chirurgie publique, le Conseil National de la Chirurgie attend la publication immédiate de l’arrêté permettant la mise en œuvre de la part variable hospitalière, notamment pour les chirurgiens. Le Conseil rappelle l’état alarmant de la chirurgie publique et pose ouvertement la question de la volonté politique pour en assurer la promotion réelle.
Le bureau du CNC
Jacques Domergue, François Aubart, Philippe Cuq, Guy Vallancien et Henri Guidicelli