Armando Spataro«La culpabilité de Battisti repose sur des preuves»Propos recueillis par notre correspondante à Rome Vanja LuksicProcureur adjoint de Milan, Armando Spataro
a participé au procès de l'ex-terroriste italien. Il dénonce la
manipulation de l'opinion française
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L'affaire Battisti
- Histoire d'un ratage
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- Notre forum: que faire de Battisti?
- Notre dossier sur l'Italie de Berlusconi
A
Paris, les intellectuels se mobilisent pour Cesare Battisti. A Rome, la
justice le considère comme un terroriste et un assassin. Que lui
reprochez-vous exactement?Il y a une incroyable désinformation autour de
Battisti, en France. Je parle de l'opinion publique, pas de la justice
française, dont je respecte absolument les décisions. Battisti a été
condamné en Italie, de façon définitive, pour une série de délits tels
que «participation à bande armée», «recel d'armes», «hold-up». Mais,
surtout, il a été condamné à la détention perpétuelle pour quatre
homicides. Il a matériellement commis deux d'entre eux, il a participé
au troisième. Il n'était pas présent sur les lieux du quatrième, mais
c'est lui qui l'avait décidé. Voilà ce qui explique le fameux mystère
des deux meurtres, commis au même moment dans deux villes différentes,
Milan et Venise, le 16 février 1979. C'est le principal argument pour
présenter Battisti comme une innocente victime de la justice italienne.
On dit aussi que ses condamnations ne reposent que sur des aveux de «repentis» peu crédibles.Sa culpabilité repose sur des confessions et des
preuves solides. On sait qu'il a tué. Et, de plus, le groupe terroriste
dont il était l'un des responsables, les PAC (Prolétaires armés pour le
communisme), était à la limite de la délinquance de droit commun. C'est
d'ailleurs pendant qu'il purgeait une peine de prison pour des
infractions de droit commun que Cesare Battisti est entré en contact
avec des terroristes.
Les PAC ont tué par mesure de rétorsion. Ils se
vengeaient des personnes qui, au cours d'un hold-up, s'étaient
défendues ou avaient tué leurs agresseurs. Ce fut le cas du bijoutier
Pierluigi Torregiani, à Milan, et du boucher Lino Sabbadin, à Venise.
Les deux assassinats avaient été organisés le même jour et revendiqués
ensemble pour rendre plus spectaculaire la leçon que les PAC voulaient
donner à ceux qui «auraient dû laisser agir les prolétaires contraints
à voler pour survivre».
Le carabinier et le policier tués par Battisti (en
1978 et en 1979) l'ont été pour les mêmes raisons. L'un, gardien de
prison, était accusé d'avoir malmené un détenu membre des PAC et
l'autre avait eu la malchance de participer à l'enquête sur le
bijoutier de Milan. C'était la justice prolétarienne!
En 1991, la France avait refusé l'extradition de Cesare Battisti
parce qu'il avait déjà été jugé en Italie, par contumace, et que
l'Italie ne rejuge pas les personnes condamnées en leur absence.C'est ce qu'on lit dans les journaux. En réalité, il
s'agissait, à l'époque, d'une question purement formelle, un problème
de procédure. La demande d'extradition avait été faite avant le
jugement. Or, entre-temps, le jugement définitif avait été prononcé, ce
qui nécessitait un autre type de requête. De toute façon, le jugement
par contumace est irréprochable lorsqu'il obéit à certaines règles,
comme c'est le cas chez nous et comme l'a reconnu, récemment, la Cour
de justice européenne de Strasbourg. En effet, le procès s'est déroulé
en présence de l'avocat choisi par Battisti lui-même. De plus, au début
de l'audience, en 1981, Battisti était là. On ne peut pas dire que le
procès a eu lieu à son insu. Je me souviens même qu'on avait dû
l'expulser parce qu'il menaçait les juges... Après, il a réussi à
s'évader.
En France, on accuse la «justice de Berlusconi» et celle des «chemises noires» de s'acharner contre lui.C'est absolument ridicule. Je vous rappelle que notre
chef du gouvernement désigne par l'expression «les toges rouges» ceux
qui ont condamné Battisti. Nous aimerions le voir extradé tout comme
nous aimerions obtenir l'extradition du terroriste d'extrême droite
Zorzi, réfugié au Japon.
Battisti est loin d'être le seul ex-terroriste italien réfugié en
France. Ne faudrait-il pas trouver, après toutes ces années, une
solution?Certainement, mais cela concerne les politiques et pas
les magistrats. Je voudrais souligner, cependant, que la fameuse
«doctrine Mitterrand» prévoyait d'offrir l'asile politique aux
ex-terroristes italiens à certaines conditions très précises: qu'ils
n'aient pas commis d'assassinats, qu'ils n'aient pas de condamnations
définitives et qu'ils s'engagent à ne pas commettre d'actes terroristes
en France. Je ne pense pas que l'on puisse invoquer l'hospitalité
traditionnelle de la France pour permettre à un assassin de se
soustraire à la justice.